Si je suis en télétravail, mon employeur peut-il supprimer mes tickets restaurants ?
Télétravail avec ou sans tickets restaurants ? Les tribunaux de Nanterre et de Paris ne semblent pas sur la même longueur d’ondes. Inégalité de traitement ou simple constat d’une situation entrainant un surcout lié au travail sur site ? Explorons les détails de ces récentes décisions contraires.
Aucune règle de droit « n’interdit à l’employeur de prévoir une tarification différente en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés »
Cette décision de la Cour de cassation datant de 1992 semble être la seule pouvant répondre à la question. Dans cette affaire, l’inégalité de traitement constituée par une participation employeur aux frais de repas plus favorable aux salariés travaillant sur site a été admise par les juges « au titre du surcoût lié à l’impossibilité de se restaurer à domicile ».
Le 10 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Nanterre confirme cette jurisprudence de 1992 en donnant raison à l’employeur (Malakoff Humanis), à la différence que ce dernier avait supprimé les titres-restaurants.
Même si le Code du Travail précise que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise », celui-ci ne fait finalement que reprendre l’accord cadre Européen sur le Télétravail de 2002. On comprend mieux alors sur quel texte la décision du 10 mars 2021 a été prise : « En ce qui concerne les conditions d’emploi, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits, garantis par la législation et les conventions collectives applicables, que les travailleurs comparables dans les locaux de l’entreprise. Cependant, pour tenir compte des particularités du télétravail, des accords spécifiques complémentaires collectifs et/ou individuels peuvent être nécessaires».
Selon les décisions précédemment citées, la notion des « mêmes droits », même si elle tend à proscrire toute forme d’inégalité de traitement, soulignent que certaines situations entre travailleurs sur site et télétravailleurs ne sont pas comparables et aboutissent nécessairement à des avantages différenciés.
Exemple : les salariés reconnus comme travailleurs handicapés disposeront de matériels adaptés (chaises ou écrans ergonomiques) pour qu’ils puissent exécuter le travail de la même façon que les autres salariés. Sur la question des tickets-restaurants, les juges ont donc considéré que les salariés travaillant sur site sont financièrement défavorisés par rapport aux télétravailleurs et pouvaient bénéficier d’une participation aux frais de repas plus favorable.
Le Tribunal Judiciaire de Paris oriente sa décision sur « la situation équivalente » des travailleurs face au fait de se restaurer
Ce 30 mars 2021, le Tribunal Judiciaire condamne sous astreinte l’entreprise Schlumberger pour inégalité de traitement basée sur l’arrêt de l’attribution des tickets-restaurants aux télétravailleurs depuis mars 2020. Cependant, il parait encore hâtif de s’avancer sur un revirement de jurisprudence au regard des décisions précédentes qui ont donné raison à l’employeur.
Pourquoi ? Selon notre lecture, c’est parce que l’employeur n’a pas réussi à démontrer que l’illégalité de traitement se basait sur des éléments objectifs (NB : comme pour la discrimination, la charge de la preuve est renversée, et c’est à l’employeur de prouver que l’illégalité de traitement pratiquée dans l’entreprise repose sur des éléments objectifs). Il avançait notamment que :
- « le titre-restaurant a pour objectif de permettre au salarié de se restaurer lorsque celui-ci ne dispose pas d’un espace pour préparer son repas, ce qui s’accorde peu avec le salarié en télétravail qui dispose de sa cuisine personnelle et qui n’a donc pas à se limiter à des plats immédiatement consommables« ,
- « si le télétravailleur fait le choix de ne pas travailler depuis son domicile mais depuis un autre lieu, par exemple un espace de co-working, cela ne résulte que de ses convenances personnelles et ne saurait lui créer le moindre droit vis-à-vis de son employeur« ,
- « le salarié ne peut pas utiliser un titre-restaurant pour acheter autre chose qu’un repas en restaurant, ou un repas directement consommable (même si celui-ci doit être décongelé) ou des fruits et légumes même non directement consommables, ce qui exclut que le salarié s’en serve pour financer ses courses de la semaine« .
C’est donc sur ces arguments que le tribunal a répondu : le télétravail « n’implique pas pour le salarié de se trouver à son domicile ni de disposer d’un espace personnel pour préparer son repas ».
Par contre, les télétravailleurs peuvent voir un espoir de revirement de jurisprudence sur l’interprétation nouvelle de l’inégalité de traitement :
- « Au contraire de ce qui est soutenu par l’employeur, les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ».
Ainsi, le Tribunal Judiciaire de Paris oriente sa décision sur « la situation équivalente » (ou « comparable ») des travailleurs, qu’ils soient sur site ou en télétravail, face au fait de se restaurer. Il faudra donc voir dans les futures décisions judiciaires si cette interprétation sera favorisée.
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